L’odyssée des soldats africains prisonniers de guerre entre 1940 et 1944 racontée par une historienne
Prisonniers de guerre ‘indigènes’… tel est le titre du livre qu’Armelle Mabon consacre à ces soldats venus de l’empire colonial pour défendre la France et qui ont été faits prisonniers par les Allemands. Un épisode peu connu qu’elle fait découvrir avec précision et souvent émotion. Une histoire qui s’est terminée parfois tragiquement, comme pour ceux qui ont été massacrés par la France lors de leur retour au pays, à Thiaroye au Sénégal.Le racisme du régime hitlérien a valu à ces soldats défaits un sort particulier. Certains furent massacrés dès leur capture. “Entre la fin des combats et le début de la captivité, il existe un sombre interstice, celui des massacres dont ont été victimes les tirailleurs ‘indigènes’ principalement les Sénégalais“, écrit Armelle Mabon qui cite un historien allemand évoquant au moins “quinze massacres perpétrés contre les tirailleurs, dont le plus connu eut lieu à Chasselay, dans le Rhône, où est érigé un monument aux morts appelé ‘Tata sénégalais’.”La honte noire a laissé des traces dans l’inconscient allemandC’est durant cette période que Jean Moulin pose l’un des premiers actes de résistance en refusant de faciliter un telle tuerie alors qu’il est préfet, préférant se trancher la gorge.Au-delà du racisme, le rejet des soldats noirs par l’Allemagne remonte à la guerre de 14-18 et au souvenir de l’occupation du sol allemand par des troupes coloniales après le conflit. “La ‘honte noire’ a laissé des traces dans l’inconscient collectif. En 1940, les Allemands refusent de voir des Noirs fouler leur sol, même en qualité de prisonniers. A la crainte de la ‘contamination’ raciale s’ajoute celle des maladies tropicales contagieuses“, précise l’historienne. Léopold Sédar Senghor dans un “Frontstalag”Résultat, ces dizaines de milliers d’hommes prisonniers de l’armée française en déroute ne sont pas envoyés en Allemagne, mais sont répartis dans des Frontstalags, des camps de prisonniers situés en France. “A la date du 8 avril 1941, l’on recense 69 053 prisonniers de guerre ‘indigènes’“, précise Armelle Mabon.On découvre donc que des soldats français, du fait de leurs origines, sont enfermés dans des camps sur le territoire national, gardés par des soldats allemands. Cette étrange situation permet à ces prisonniers de guerre de nouer des relations avec leur environnement, avec la population française qui, elle-même, rencontre des cultures différentes.
L’historienne enrichit son récit de nombreux témoignages, parfois pleins d’émotion, sur l’attitude des populations proches des camps, à l’endroit de ces détenus venus de loin. Le livre fourmille d’exemples de gestes généreux : envoi de pain aux détenus, rédaction de lettres pour les familles ou messages aux autorités pour dénoncer d’éventuels mauvais traitements. Comme pendant la guerre de 14, des marraines de guerre se rapprochent des détenus, allant jusqu’à nouer de vraies relations, pouvant parfois déboucher sur des histoires d’amour, suscitant la réprobation des autorités. Parmi ces soldats, on retrouve un certain Léopold Sédar Senghor qui eut pour marraine la belle sœur de Georges Pompidou. Jusqu’en novembre 1942, les relations entre la métropole et l’empire ne sont pas coupées. Cela permet aux lettres de passer, mais aussi à des colis envoyés par les familles d’arriver aux prisonniers. Cela autorise aussi des retours de prisonniers au fil des accords entre Vichy et l’Allemagne. 52 tirailleurs sénégalais dans le Vercors en 1944Alors que le STO (Service du travail obligatoire) tente de s’imposer, les Allemands, en difficulté sur le front de l’Est, demandent en janvier 1943 “au gouvernement de Vichy de remplacer les sentinelles allemandes par un encadrement français pour les hommes de couleur“… Situation incroyable qui fait que des soldats français se retrouvent à garder – pardon, encadrer – des soldats… français.Cette situation étrange n’empêche pas certains de ces détenus de gagner la résistance et les maquis “qui apprécient ces renforts, qui ont la réputation de troupes de choc. Au moins cinquante-deux tirailleurs sénégalais se trouvent d’ailleurs dans le Vercors en juin 1944″, note Armelle Mabon.Arrive la libération du territoire. Certains des soldats coloniaux sont mobilisés contre les Allemands. Mais la fin de la guerre, la libération des camps reposent immanquablement la question coloniale. La IVe République naissante ne remet pas en cause l’empire.Dans la deuxième partie de son livre, Armelle Mabon se penche sur le retour des soldats coloniaux dans leurs régions. “Les premiers départs avec l’aide des navires alliés ont lieu en octobre 1944 à Cherbourg. Il s’agit de gagner l’AOF (Afrique occidentale française, NDLR) et l’AEF (Afrique équatoriale française, NDLR).” Un voyage qui se fait dans des conditions difficiles, du fait de l’état général du pays, du manque de moyens… mais pas seulement. Le tout semble se faire dans un grand désordre, notamment en ce qui concerne le règlement des soldes, et des cas d’indiscipline sont notés. L’historienne termine son livre sur le drame de Thiaroye, au Sénégal, où des soldats ont été fusillés, et son combat d’historienne pour faire naître la vérité sur cet épisode tragique. Elle qualifie l’événement de “mensonge d’Etat“, affirmant que “depuis 2014, il est clairement établi qu’il n’y a jamais eu de rébellion armée, ni de mutinerie“, thèse avancée auparavant pour expliquer le massacre de plusieurs centaines d’innocents.Que reste-t-il aujourd’hui de ces “prisonniers indigènes” ? En France, la question sur la cristallisation des pensions se trouve résolue par une décision du Conseil constitutionnel en 2010. Plus humainement, il y a en France des descendants des amours de ces prisonniers avec des habitantes. Là encore des vies parfois compliquées.Le livre d’Armelle Mabon, une réédition enrichie, éclaire avec humanité et précision cet épisode méconnu de la guerre, ainsi que ces “visages oubliés de la France occupée“. Pour cela il faut le lire. 300 pages 23 eurosClick Here: brisbane lions guernsey 2019