Gérardmer 2015 : Alexandre Aja : le cinéma fantastique français est “rejeté” par le public français
AlloCiné a rencontré Alexandre Aja, réalisateur de “Piranha 3D” et “Horns” à l’occasion de sa participation au jury du festival du film fantastique de Gérardmer. Et il n’a pas mâché ses mots quant à l’état du cinéma fantastique en France.
Déjà membre du jury en 2011, le réalisateur, scénariste et producteur Alexandre Aja, est une nouvelle fois juré du festival international du film fantastique de Gérardmer. Il a accepté de recevoir Allociné pour nous donner sa vision du cinéma fantastique, français et étranger, pour l’un des réalisateurs français les plus américains du moment. Rencontre.
A votre avis, qu’apporte le festival Gérardmer en termes d’état du lieu du cinéma fantastique ?
Par sa sélection pointue, Gérardmer est un festival qui a le mérite d’avoir une large présentation de films, sans tomber dans un océan de films. Ce sont dix films qui comptent. La sélection opérée par Bruno Barde témoigne de son éclectisme. C’est intéressant à travers cette sélection de voir les thèmes récurrents des réalisateurs à travers le monde, leurs inspirations, leurs références, l’originalité, la création. Comme l’a dit Christophe Gans dans son discours d’ouverture, on attend tous une claque.
Selon vous, quelle pourrait être la claque ?
Elle peut être unanime et s’imposer d’elle-même. Autrement, pour moi la claque n’est possible que si plein de choses sont réunies. Les critères de qualité d’exécution, de jeu, s’ils ne sont pas là, je ne peux pas avoir de claque. L’un ne va pas sans l’autre. L’appréciation du genre [fantastique] varie d’une personne à l’autre. Il y a une école qui est fan et qui aime le genre presqu’avec une sorte de recul, où la réalité n’existe presque plus. C’est l’école Dario Argento, ils vont adorer une scène, une musique, une séquence, un plan, moi j’ai du mal.
Dès que je vois des films ou des séquences où je reviens dans mon siège et où je ne suis plus dans l’histoire parce que tout d’un coup quelqu’un a très mal joué ou parce que c’est chiant ou mal foutu, je n’arrive pas à passer outre. Et ce sera ma grille de jugement.
Quel est votre premier souvenir de spectateur devant un film fantastique ?
Je dois avoir trois ans et quelques et je suis chez le compositeur de mon père, et les enfants du compositeur sont plus âgés que moi et ils regardent Les Aventuriers de l’Arche perdue. Et je rentre dans la pièce au moment de l’ouverture de l’arche et ça m’a absolument traumatisé pendant des années. Ce n’est pas un film fantastique, mais ça reste du fantastique. C’est mon premier choc.
Les Aventuriers de l'Arche perdue Bande-annonce VO
Le réalisateur américain Alex Garland -qui présente “Ex Machina” en compétition- a déclaré au cours du festival que les films comme le sien avaient besoin des festivals pour exister, êtes-vous d’accord avec cette affirmation ?
Oui, malheureusement. Encore plus aujourd’hui qu’hier, et encore moins aujourd’hui que demain. Parce que le cinéma américain subit une évolution irréversible, qui va à mon avis toucher le reste des marchés extrêmement vite. On va assister à une raréfaction des sorties salles, les salles sortiront moins de films mais avec plus de copies, et il y aura une multiplication des sorties VOD très proches des sorties salles.
La VOD va donc se débarrasser de cette sale image de « Direct to Video » qu’elle traine depuis des années car énormément de films d’auteurs, à Oscars, de films de grande qualité et de festivals, vont se retrouver dans les mêmes exclusivités en VOD très vite. Donc il va y avoir un changement de jeu, qui fait que des films comme Ex Machina vont se retrouver en VOD en même temps qu’au cinéma et le palmarès des festivals va créer ce buzz qui fera que ces films vont connaître le succès en VOD.
Les festivals vont devenir la performance du cinéma”
La chute des ventes de disques dans la musique a été compensée par la multiplication des concerts, et les festivals vont devenir la performance du cinéma. Le film va exister devant un public en avant-première dans les festivals, et une récompense en festival fera que les gens chez eux avec leur VOD iront plutôt vers un film que vers un autre.
Que pensez-vous de la raréfaction du cinéma de genre français ?
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J’en ai beaucoup parlé avec Christophe Gans [le président du jury de Gérardmer 2015, NdlR] car il fait office de dinosaure. Il est le seul à avoir fait un film de genre français, en français, qui est sorti en grandes pompes et qui a marché. La Belle et la bête c’est unique.
[En France], nous sommes dans une sorte de désert, de pénurie, d’échec absolu. Et il y a le modèle de l’Espagne, qui a réussi à imposer un cinéma fantastique espagnol, en espagnol, avec de bons budgets, des films d’une qualité monstrueuse avec des réalisateurs majeurs. L’industrie espagnole a reconnu ces films, les Goya n’hésitent pas à récompenser L’Orphelinat. Et de l’autre côté, en France, toute la vague de films d’horreur qui a suivi Haute Tension a très bien marché à l’étranger, a fait plein de festivals et n’a jamais dépassé les 100 ou 150 000 entrées en France.
Je crois qu’il y a une sorte de statu quo du public qui sous prétexte qu’un film de genre est en français avec des acteurs français, on n’y croit pas et ça ne peut pas être au niveau d’un film américain. C’est un rejet global et c’est terrible.
Je rencontre souvent des gens qui me disent « on veut faire des films d’horreur qu’est-ce qu’on doit faire en France ? » et j’ai envie de leur répondre : « partez ».
« Et c’est un constat d’échec parce qu’on me demande « pourquoi tu n’aides pas à faire changer les choses ? Pourquoi tu ne reviens pas, pourquoi tu ne produis pas ? » Eh bien parce qu’il y a un esprit français bizarre, très négatif et qui ne veut pas de genre en français. Pour faire changer les choses, il faudrait des mini-majors qui acceptent de faire des films sans pré-achat télé ou sans censure indirecte du prime-time. (…) EuropaCorp par exemple –qui a produit Haute Tension- aurait cette force de frappe, peut-être, mais ce n’est pas évident.
Vous êtes en pleine post-production pour votre prochain long métrage, le thriller “The Ninth Life of Louis Drax”, pouvez-vous nous dire à quel stade vous en êtes ?
Nous venons de faire le premier bout-à-bout, il reste beaucoup de travail, mais on a déjà une bonne vision du film.
Quelles nouvelles avez-vous quant à votre projet d’adaptation du dessin animé “Cobra” ?
On a les droits, on a développé le projet. Pour moi, étant un fan absolu, c’est un grand souvenir d’enfance, c’est vraiment un dessin animé à part. C’était évidemment un rêve de l’adapter, ça l’est toujours, cela fait quatre ans. On voulait refaire un Star Wars, un Indiana Jones dans l’espace. Mais le film est extrêmement cher, difficile à monter et à caster surtout aux Etats-Unis où Cobra est totalement inconnu. Surtout, la reprise de Star Wars et la sortie des Gardiens de la Galaxie viennent écraser les platebandes de Cobra, donc c’est difficile.
Quand on va voir Gardiens, on voit un épisode de Cobra. Et quand je vois mes enfants ou les enfants d’amis, ils ont une connexion énorme avec Les Gardiens de la Galaxie, c’est à en pleurer parce que c’est Cobra, c’est le mélange comédie/science-fiction qu’on a adoré à l’époque. On essaye toujours de faire notre film, mais on arrive un petit peu après la bataille. Je souhaite vraiment que ça se fasse.
Rattrapez “Horns” d’Alexandre Aja avec Daniel Radcliffe, le 25 février en DVD et Blu-ray :
Horns Bande-annonce VO
Propos recueillis par Corentin Palanchini à Gérardmer le 30 janvier 2015.