Cold In July : Jim Mickle et sa méthode pour “déformer le genre” du thriller
Quelques mois après la sortie de “We Are What We Are” en DVD et Blu-Ray, Jim Mickle change de registre avec son quatrième long métrage, le polar “Cold In July” emmené par Michael C. Hall, et que le metteur en scène nous présente.
En septembre 2013, Jim Mickle avait divisé le CID de Deauville en 2 camps (sifflets vs applaudissements) grâce à We Are What We Are, son troisième long métrage. Un an plus tard, c’est un tout autre son de cloche qui attendait le réalisateur américain, salué de façon plus homogène et positive à l’issue du jouissif Cold In July : “Que c’était ennuyeux”, nous répond, en riant, celui qui reconnaît avoir également pris du plaisir lors de la projection et ajoute “Si je ne l’avais pas fait moi-même, ça m’aurait sûrement plu en tant que spectateur.”
AlloCiné : Qu’est-ce qui vous a mené vers cette adaptation du roman de Joe R. Lansdale ?
Jim Mickle : Je suis un grand fan de cet auteur, dont j’ai lu beaucoup des écrits, aussi bien des nouvelles que des romans. Juste après avoir fait Mulberry Street (2006), qui était très centré sur New York, je ne voulais plus rien faire qui soit lié à cette ville. Et comme Joe situe ses récits au Texas, et que j’avais une pile de ses œuvres chez moi, j’ai décidé de commencer à travailler dessus. Cold In July était le deuxième que j’ai pris, et je n’avais aucune idée de ce qu’il racontait, même si j’avais lu sur la quatrième de couverture qu’il était question d’un père et de son fils. Et je n’ai pas pu le reposer avant de l’avoir terminé, vers 3 ou 4 heures du matin, en tremblant à cause de la fin. Mais il m’a obsédé et je l’ai relu dès le lendemain car je savais que je voulais en faire un film.
L’idée de faire un thriller après 3 films d’horreur découle-t-il d’une volonté d’essayer d’autres genres ou est-ce un hasard ?
Je me suis d’abord intéressé aux films à travers l’horreur et des réalisateurs tels que Sam Raimi, Peter Jackson et d’autres dont je suis tombé amoureux des travaux et qui m’ont donné envie d’en faire aussi. Puis j’ai rapidement découvert les frères Coen ou John Dahl, à qui l’on doit Red Rock West ou Last Seduction, des films noirs intéressants des années 90. Et il y a aussi John Carpenter, qui a un pied dans l’horreur mais a également réalisé Invasion Los Angeles, de la SF et de l’action.
Il est donc normal que mes propres films reflètent cette trajectoire et mon goût pour l’horreur. Mais j’étais un peu frustré car les gens pensaient que je ne ferais que ça, alors que j’avais autre chose à montrer. Et c’était d’autant plus frustrant que, juste après Mulberry Street, nous avions mis une option sur Cold In July, qui aurait dû être mon deuxième long métrage et m’aurait permis de montrer que je pouvais faire un peu de tout. Sauf qu’on m’a envoyé des scénarios de films de zombies, puis de vampires, à petits budgets, une fois que j’ai enchaîné avec Stake Land (2010). Maintenant j’espère que Cold In July va changer la vision que les gens ont de ce que nous pouvons faire et de ce qui nous intéresse, et nous offrir plus d’opportunités.
Trouver une manière de déformer un genre
On note déjà que plusieurs genres se croisent au sein de ce film : il y a une scène qui renvoie au cinéma d’horreur, beaucoup d’humour et un mélange des tons. Pensez-vous que ce soit la meilleure manière d’aborder un genre de façon originale aujourd’hui ?
Je pense, oui. Les gens explorent les genres depuis très longtemps, donc si on le fait aujourd’hui en restant dans les clous, cela peut vite devenir ennuyeux. Ce que j’aime avec les frères Coen, en plus de leur style, c’est la façon dont ils mêlent si bien les genres : ils prennent divers éléments qu’ils rassemblent pour mettre en scène une étude d’un genre de manière divertissante. Une approche de ce type m’a toujours intéressé, et cela s’appliquait bien à ce projet : nous avons toujours voulu faire un western, mais personne n’en voulait vraiment et tout le monde refusait de produire des films de ce genre.
Stake Land était déjà ma réponse à ça, car il utilisait certains éléments de western dans un film de vampires. Au final je trouve ça intéressant d’aller à l’encontre de ceux qui pensent qu’il n’y a plus de public pour un genre, en trouvant une manière de déformer ce dernier.
Les frères Coen avec qui vous partagez cette idée de déconstruction du mythe américain, notamment lorsque vous évoquez le sujet des armes à feu.
C’est amusant car ce n’était pas ce qui m’intéressait le plus dans l’histoire à la base. Pour moi le côté action importait moins que l’idée que le personnage principal se fait de la masculinité, surtout lorsqu’il est en présence des deux autres qui ont l’air de cow-boys. C’est quelque chose qui ne lui est pas venu d’emblée, contrairement aux générations précédentes, auxquelles je suis très attentif, qu’il s’agisse de mon père ou de Nick Damici, mon co-scénariste qui est issu d’une génération antérieure à la mienne.
Du coup, pour moi, l’histoire a toujours été celle d’un homme qui n’est pas vraiment un adulte : il est dans la trentaine, a un enfant et sa propre entreprise, mais n’a jamais été testé et n’a quelque part pas grandi. Puis il rencontre ces types dont c’est le quotidien. Et le côté politique sur les armes à feu m’est d’autant plus étrange que, jusqu’alors, je n’en possédais pas, même si les thèmes qu’elles représentent m’intéressent.
Mais j’en ai acquis une avant de faire un film qui parle des armes, ce qui me paraissait bizarre : une marmotte s’est mise à dévaster mon jardin. On m’a dit que les pièges n’étaient pas utiles et qu’il fallait la tuer, donc j’ai acheté un revolver. Et un mois avant le début des prises de vues, je l’ai prise sur le fait et je l’ai abattue. C’était la pire expérience de ma vie (rires) Ça m’a tellement affecté que je ne l’ai plus jamais utilisé, mais j’ai raconté cette histoire à Michael [C. Hall, ndlr] en lui disant que c’était une version, à plus petite échelle, de ce que vit son personnage.
Puisque vous parlez de Michael C. Hall : il est amusant de voir Dexter Morgan avoir peur du sang. Est-ce que cette idée a pesé lorsque vous l’avez choisi ?
Non, pas du tout. Je ne connaissais pas très bien Dexter, même si j’avais vu et aimé quelques épisodes, mais j’étais nettement plus fan de Six Feet Under et c’est surtout là qu’il m’avait marqué. Je n’ai d’ailleurs pas regardé Dexter avant la fin du tournage et Michael le savait. Quand il est arrivé sur le plateau, avec les traces de sang sur le mur, il m’a dit : “Wow, ça fait longtemps que je n’en ai pas vu !” Et je me suis rendu compte que c’était le quotidien de son personnage dans la série.
Ceci dit, nous avons supprimé quelques éléments du scénario car ils étaient identiques à ceux de l’un des épisodes que j’avais vus, le premier de la saison 8 je crois. Pas en ce qui concerne le sang mais plutôt sa relation avec son fils. Je ne voulais pas que les gens aient ça en tête, et lui même m’a demandé, la première fois que nous nous sommes vus, si je n’avais pas peur que les gens le voient encore comme Dexter. Je le craignais un peu mais il m’a répondu que ça irait, et il a réussi à tout changer pour Cold In July, de son look à sa façon de parler, ce qui nous rappelle à quel point c’est un grand acteur.
Et qui a eu l’idée de cette coupe mulet ?
C’était lui ! (rires) Il venait de finir Dexter et n’avait que 2 semaines avant de faire ce film, donc je craignais qu’il n’arrive avec la même coupe de cheveux et la même barbe que dans la série. Et c’est en travaillant avec ceux qui devaient lui faire cette barbe du final qu’il a eu l’idée d’une coupe mulet, qui lui a été fabriquée et que notre coiffeuse lui fixait tous les matins pendant 1 heure.
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Il fallait que ce soit un peu daté
Avez-vous songé à transposer l’histoire au présent, ou êtes-vous parti sur les années 80 dès le début ?
Nous nous sommes posés la question, mais j’aime l’idée que le livre donne l’impression d’avoir été écrit au moment des faits qu’il raconte. Il date de 1989, à une époque où personne ne connaissait encore Quentin Tarantino. Une fois que celui-ci est arrivé, il a changé à jamais n’importe quelle histoire impliquant des types et des flingues, toutes étant devenues des films post-Pulp Fiction. J’aimais donc que Cold In July se déroule pendant cette période innoncente : après l’Âge d’Or des années 70 et avant Tarantino. Il fallait donc que le film et le personnage de Michael existent dans ce monde, car ce ne serait pas possible aujourd’hui, où tout le monde est super high tech. Il fallait que ce soit un peu daté et qu’il n’y ait pas besoin de portables ou d’internet, mais que les problèmes soient réglés à l’ancienne.
Que pensez-vous qu’Hollywood a perdu, en matière de thriller, depuis cette époque ?
Ils étaient plus complexes que dans mon souvenir. Aujourd’hui, ce qui est frustrant c’est qu’il leur faut une super star et des intrigues très simples. Il est très rare que ce soit complexe. Il n’y a plus de monde dans lequel ces thrillers peuvent encore survivre. Même un film tel qu’Un été pourri avec Kurt Russell (1985), qui n’a pourtant pas été très important, possède une intrigue et une histoire très intéressantes qui sont bien tenues. C’est même un peu déprimant de se replonger dans ces films, car on se rend compte que des thrillers de ce type pouvaient fonctionner il y a quelques décennies. Maintenant il faut une technologie de folie, des effets spéciaux et explosions, mais j’espère que nous allons revenir vers ce qui se faisait dans les années 80.
Vous citez Kurt Russell, et vous dirigez son fils, Wyatt, dans “Cold In July”. Etait-ce une référence consciente ?
Un peu seulement car Wyatt était déjà dans We Are What We Are où j’avais adoré sa performance. Ici c’était davantage une référence à The Murderer d’Hong-jin Na, qui avait repris ses deux acteurs de The Chaser en inversant les rôles. J’ai trouvé ça très cool et j’en ai parlé à Wyatt, qui jouait un gentil dans We Are What We Are, en lui disant que je le trouvais tellement sympa que je voulais lui faire jouer quelqu’un de diabolique. Et son personnage de Cold In July m’en offrait l’occasion.
En plus de ça, quand les gens savent que c’est son fils, ils pensent à Kurt Russell que l’on associe facilement à cette époque et à ces thrillers avec un arrière-goût de western. Donc c’était aussi un clin-d’œil subtil à ça.
Vous dirigez aussi Sam Shepard et Don Johnson : pensez-vous que le succès rencontré par “We Are What We Are” a joué et vous a permis de recruter des acteurs de ce calibre ?
Oui, bien sûr. Je sais que ça a joué dans le cas de Sam, car nous avions déjà essayé de le contacter par le passé et qu’il ne nous avait jamais répondu. Là il était attentif, et je pense que cela tient aussi à la présence de Michael, qui a été le premier à signer. A ce moment-là, de grandes actrices sont arrivées de nulle part alors que personne ne se souciait du projet auparavant. Je pense aussi que le côté western a plu à Sam, qui est un type à l’ancienne, mais s’il a joué dans ce qui est peut-être le plus petit film de sa carrière, c’est aussi parce que nous sommes allés à la Quinzaine des Réalisateurs et à Sundance, ce qui nous a donné du crédit.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Deauville le 8 septembre 2014
La bande-annonce de “Cold In July” :
Cold in July Bande-annonce VO